Le Mag Biosphère
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Supplément du Mag de décembre 2024
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Supplément du Mag de décembre 2024
Interview de Samuel Bouchet et Marta Mezzino :
Projet « coup de coeur » du Trophée PNC 2024
Quelle est l’origine du projet ?
Nous avons acheté ce coin de terre en Galeison, les Ouches, il y a 20 ans . En 2010 nous nous sommes engagés auprès de Panayotis Manikis, un disciple direct de Masanobu Fukuoka, le père de l’Agriculture Naturelle. La philosophie pratique de Fukuoka nous a immédiatement touché au cœur. Nous avions rencontré Panayotis en Argentine, puis nous avons passé quelque mois chez lui dans le nord de la Grèce pour participer à son projet : un verger diversifié et des projets de reverdissement des zones arides grecques selon les principes proposés par l’Agriculture Naturelle.
Et lorsque nous sommes rentrés en France nous avons commencé à mettre en œuvre sur nos terres ce que nous avions appris en Grèce.
Qui êtes-vous ?
Nous sommes un couple qui vivons sur place, et quelques personnes qui nous accompagnent de prés ou de plus loin selon la période.
Nous sommes deux passionés de plantes qui sommes aussi engagés dans des activités très variées: musique, danse, auto-construction, artisanat, herboristerie, accompagnement aux femmes et que nous relions toutes à ce nouveau rapport au Vivant que nous cultivons jour après jour en nous , et que nous transmettons et partageons depuis quelques années avec les gens qui passent à l’Oasis des Ouches.
Quels sont les objectifs ?
L’objectif principal est avant tout la transformation en nous même de notre relation au Vivant.
«Le but ultime de l’agriculture, dit M. Fukuoka, n’est pas la culture des récoltes, mais la culture et la perfection des êtres humains».
Et l’un des moyens pour cheminer sur cette voie sont les pratiques culturales et culturelles que nous mettons en expérience aux Ouches. Cela signifie tout d’abord de déconstruire de vieilles habitudes, parfois solidement ancrées en nous, pour construire de nouvelles relations au biotope qui nous accueille. L’idée directrice est de reconsidérer nos actions et fonctions humaines au sein d’une multitudes de fonctions, et d’actions effectuées par les autres habitants de nos écosystèmes : les vers de terres, les oiseaux, les innombrables micro-organismes, les champignons, les sangliers, les insectes,etc qui travaillent tous ensemble à l’amélioration du milieu….De quelle façon puis-je œuvrer dans un écosystème sans me considérer comme le seul sachant qui y oeuvre? Car telle est, selon nous, la source idéologique qui conduit à notre déconnection aux principes de la Vie, et par conséquent aux catastrophes écologiques et systémiques desquelles nous sommes témoins aujourd’hui.
Quelles sont les grandes étapes de votre projet ?
Nous habitons dans des paysages qui sont très dégradés. Les cévenols avaient élaboré des écosystèmes incroyablement complexes et ingénieux pour donner de la fertilité à ces terres très pauvres et difficiles, et entretenir continuellement, inlassablement cette précieuse fertilité. Mais tout ceci tombe en oubli et en ruine depuis des décennies, et la fertilité des sols cévenols n’est plus entretenue. Même dans les vergers de châtaignier! Les terrasses s’écroulent, l’eau ruisselle emportant la couche d’humus vers les rivières, le pin devient hégémonique et prend la place des autres essences en freinant ainsi l’installation de la biodiversité, année aprés année la perte de notre sol augmente en Cévenne.
La première chose qui concrètement nous semble importante, est de retrouver des façons de créer et d’entretenir la fertilité de nos sols. En s’inspirant de la vision de nos prédécesseurs bien sûr, et surtout en réinventant avec les modalités et réalités qui sont les nôtres aujourd’hui : nous sommes beaucoup moins nombreux, les conditions climatiques changent, nos besoins aussi…
Les deux grands axes sont donc, tout d’abord, de retrouver une gestion de l’eau qui soit saine, respectueuse et vertueuse. Nous nous appuyons pour cela sur les principes de ce que nous appelons aujourd’hui l’hydrologie régénérative : ralentir, répartir, infiltrer et stocker l’eau. C’est absolument primordial sur nos terres très en pentes et sujettes à de très fortes précipitations.
Et puis l’autre aspect de notre action est de réfléchir à la façon dont nous pouvons cultiver en densité sur ces terres. Nous nous appuyons pour cela sur les principes de « l’agriculture syntropique » ou « agroforesterie successionnelle ». Ces cultures en densité permettent elles aussi de stocker, infiltrer et retenir l’eau dans nos systèmes ce qui limite fortement le besoin en arrosage( et ainsi limite la prédation sur les sources ou les cours d’eau !), mais aussi créent beaucoup de biomasse ce qui permet d’enrichir la fertilité des sols.
L’objectif de notre projet est donc de créer une oasis de biodiversité en suivant ces deux idées directrices : soin de l’eau qui tombe dans notre système, et culture en densité.
De plus, la culture en densité est un incroyable outil de compréhension des mécanismes et du langage du Vivant.
En quoi, selon vous, le Vivant peut-il nous inspirer, nous aider à s’adapter au dérèglement climatique, à la pénurie des ressources ?
A notre petite échelle chez nous aux Ouches, des plantes nous enseignent chaque jour des façons de s’adapter aux conditions parfois difficiles auxquelles on les invite à s’adapter elles même. Le vétiver ou le serpolet s’accrochent au terrain avec vigueur et retiennent les pentes. Le genêt et les ronces colonisent des coins incultes dans lesquels peuvent émerger après leur travail des merisiers ou des aliziers. Les coréopsis ou la lavatère nous étonnent par leur capacité à générer de la biomasse en abondance pour nourrir le sol. L’arbousier nous montre sa capacité à recréer de la vigueur après chaque taille. Le peuplier noir et le sureau nous enseignent que ensemble et associés en densité à d’autres camarades plantes, ils sont parfaitement capables de s’épanouir en milieu aride. Le fraisier des bois ou l’achillée grise nous surprennent par leur capacité à couvrir un sol très vite et malgré la pente. Et surtout les synergies qui opèrent lorsque un espace est occupé par de nombreuse et diverses plantes nous montrent en continu la résilience qui en émerge, leur capacité à résister au soleil, au gel, au vent, aux limaces ou pucerons, à retenir l’eau, à n’avoir plus besoin d’apport extérieur pour croître et s’épanouir.
En quoi, selon vous, nos liens avec le Vivant seraient un gage pour l’avenir de nos sociétés, de notre civilisation ?
La Vie lorsqu’elle est arrivée sur notre planète, qui était alors un lieu vraiment pas hospitalier du tout, a généré elle-même les conditions idéales de sa propre survie. Puis, en se diversifiant en des milliards d’espèces bactériennes, végétales, animales, etc, la Vie à créé un lieu merveilleux capable de générer toujours plus d’abondance à travers d’une invention incroyable: la photosynthèse. Pourriez vous nous indiquer un autre mécanisme plus ingénieux qui puisse générer autant de richesse à partir de si peu? Et on se demande encore en quoi le Vivant peut nous enseigner, nous inspirer?
En s’autoproclamant et se considérant le seul intelligent de la Terre, l’Humain passe à côté d’une incroyable diversité et richesse d’intelligences variées et magnifiques qui cohabitent avec lui. L’humanité, elle, s’entête à n’avoir pour seul moyen de s’enrichir, que la prédation: pomper l’eau, couper des forêts, forer du pétrole, excaver des engrais etc…et produit ainsi un appauvrissement de son milieu.
En reconnaissant l’Intelligence inhérente au Vivant, nous pouvons commencer à coopérer avec lui pour créer de la vraie richesse, à co-créer avec lui pour aller vers plus d’abondance, à reconnaître l’importance essentielle du partage avec tous les autres habitants des écosystèmes que nous habitons…
Mais pour cela il nous faut être capable en tant qu’humain d’abandonner certaines croyances et faire un pas décisif vers un dialogue véritable avec les autres habitants végétaux, animaux, microbiens, avec lesquels nous partageons nos espaces de vie.
Le sanglier par exemple, ou la truite fario, tout en étant un gibier potentiel, ou le serpolet, tout en étant un très bon aromatique, sont avant tout de fins connaisseurs de nos paysages. Nous pouvons les chasser, les pêcher, les cueillir, soit, mais aussi apprendre et savoir entendre ce qu’ils ont à nous enseigner de notre vallée. Nous devons revoir notre relation de conversation avec eux.
Il nous faut absolument considérer les autres êtres vivants comme de véritables savants ! Et d’absolus spécialistes dans les fonctions qu’ils occupent dans les écosystèmes.
C’est cette approche de dialogue que nous cultivons dans notre projet d’Oasis des Ouches.
Pourquoi avoir répondu à l’AAP Trophée du PNC ?
Nous avançons trop souvent seuls sur notre projet. Répondre à cette invitation du Parc était pour nous l’opportunité de parler de notre action et de poursuivre notre démarche de partage avec des interlocuteurs différents présents sur le territoire.
La vision qui nous porte nous amène aujourd’hui à chercher davantage de partages et d’appuis qui vont nous permettre de continuer à avancer.
Qui peut (ou comment) s’impliquer dans ce projet ?
Nous avons besoin de coups de main régulièrement, que ce soit sur une journée ou sur des périodes plus longues. Toute personne qui résonne avec nos valeurs et élans et qui ai envie de s’engager avec nous est la bienvenue. Il y a tellement de tâches auxquelles on n’arrive pas à consacrer assez d’énergie ou de temps !
Et puis nous cherchons des mécénats pour nous permettre de poursuivre notre action de façon durable et efficace.
Comment suivre ce projet ?
Nous essayons de tenir à jour notre page Facebook « Oasis des Ouches » sur laquelle nous donnons les rendez-vous à venir. Sinon on peut tout simplement nous appeler ou écrire un mail.
– 06 62 18 66 25